Les citoyens et le « S 21 »
Le « S21 », c’est l’arrêté tarifaire d’octobre 2021 qui a mis à mal les projets citoyens de toitures photovoltaïques. Explications et perspectives.
De 2018 à 2021, le nombre de projets d’énergie citoyenne a été multiplié par trois en Alsace : de trois sociétés citoyennes, nous sommes passés à neuf. Les groupes se sont constitués sur le modèle éprouvé de « grappe photovoltaïque » : la société citoyenne loue des toitures à des propriétaires publics ou privés pour y installer des panneaux photovoltaïques qu’elle exploite pendant 20 ans en vendant l’électricité produite au tarif garantit par l’Etat (supérieur au tarif du marché). Ce tarif est fixé par un arrêté tarifaire, qui a été révisé en octobre 2021 pour laisser place à l’arrêté « S 21 ».
Cet arrêté a permis de belles avancées. Par exemple, le seuil de puissance des installations éligibles à ce tarif subventionné est passé de 100 à 500 kWc.
Mais en soumettant ce texte à la Commission Européenne, celle-ci a validé avec une condition : ce tarif de vente étant subventionné, il est impossible de le cumuler avec d’autres subventions. Ce serait contraire à une saine concurrence. Résultat : si on souhaite vendre l’électricité PV à ce tarif, impossible de bénéficier de subventions à l’investissement.
Ce qui nous ramène à nos projets citoyens : le modèle économique de ces « petits » projets de grappes photovoltaïques (à l’opposé de « grands » projets comme les parcs solaires au sol, les éoliennes, la méthanisation…) reposait sur des subventions, en particulier de l’ADEME et des régions. En Grand Est, le dispositif climaxion de soutien au photovoltaïque permettait aux collectivités et aux projets citoyens de bénéficier d’une subvention à l’investissement. Sans ces subventions, l’équilibre économique est très loin d’être garanti. L’effet obtenu est presque inverse aux objectifs initiaux des projets citoyens : eux qui souhaitent installer sur beaucoup de petites toitures, sont obligés de se tourner presque exclusivement vers de grandes toitures, plus rentables, eux qui souhaitent faire appel aux compétences locales finissent par simplement chercher le matériel le moins cher, quelque soit sa provenance, eux qui souhaitent garantir un investissement sûr vont limiter les contrôles au strict nécessaire du fait du surcoût induit, etc.
L’association nationale Energie Partagée a fait remonter à la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC) française ce problème : dans le monde de l’énergie citoyenne, l’interdiction du cumul de subvention ne supprime pas un biais de concurrence, il condamne des projets d’intérêt territorial ! Si la DGEC est bien allée plaider à la Commission Européenne, celle-ci, compréhensive, lui a vivement conseillé de demander une exception aux règles du marché européen pour ces projets spécifiques, c’est-à-dire de monter un dossier d’une complexité difficile à se représenter. Le tout pour défendre des projets qui ne participent que de façon symbolique aujourd’hui à l’atteinte des objectifs de production ENR de la France. Si Energie Partagée continue bien son plaidoyer, le résultat risque de se faire encore attendre…
Les pistes de réflexion pour les projets citoyens sont alors de trois natures :
Diminuer les coûts (plus grandes toitures ou ombrières de parking, peu de loyer pour les propriétaires de toit, réaliser le maximum des tâches en interne, donc bénévolement, etc.), solution encore plus complexe dans le contexte de crise actuelle qui fait augmenter tous les coûts.
Valoriser l’électricité produite autrement que par le tarif d’achat de l’Etat. Ces projets s’intéressent en particulier aux solutions d’autoconsommation : que l’habitant du bâtiment sur lequel est installée la toiture PV puisse consommer directement l’électricité, ou qu’un projet d’autoconsommation collective soit mis en place dans les alentours pour partager cette électricité entre plusieurs consommateurs. Si ces solutions peuvent être intéressantes, il est plus rare de réunir les bonnes conditions pour monter un projet (site de production et consommateurs), et le montage juridique et administratif est bien sûr d’autant plus complexe.
Se tourner vers d’autres sources de production ENR que les toitures photovoltaïques. Si l’éolien n’est pas le potentiel phare en Alsace, les parcs solaires au sol peuvent être intéressants. En particulier, une initiative s’est montée « une commune, un parc » pour favoriser la création de petits parcs photovoltaïques citoyens sur des délaissés, dents creuses, friches… avec peu de contraintes administratives. Les réseaux de chaleur bois sont éprouvés, en Alsace, mais les citoyens ne se sont pas encore présents dans ce domaine. Des projets de méthanisation voient le jour, qui gagneraient à s’associer avec les habitants pour mieux s’intégrer sur le territoire. Et quelques sites hydroélectriques sont encore à réhabiliter…
Une chose est sûre : la crise énergétique a montré que ceux qui construisent un modèle d’énergie renouvelable décentralisée aux mains des citoyens ont raison ! Alors relevons-nous, et trouvons notre place.
Des histoires à suivre et à rejoindre sur www.gecler.fr !
Coline Lemaignan
énergie citoyenne